STARFUCK

Je commence à me faire vieux. Passé le quart de siècle, les choses évoluent beaucoup plus rapidement qu'on ne le pense. Toi, jeune con qui passe tes samedis soirs à te la coller dans les pubs miteux de ta ville, tu comprendras ces mots lorsque tu ressentiras cet étrange mal être lorsque ta jeunesse t'aura lâché. Tout commence avec la chute de cheveux, s'accélère avec la prise de poids, et t'achève avec cet essoufflement caractéristique qui te dit qu'il est temps pour toi d'arrêter la clope. Alors tu prends des résolutions: tu arrêtes le tabac, diminue l'alcool, tu changes de shampooing, et tu te mets au tofu (voir au sport pour les plus casse-cou). Même si ta ventilation s'améliore, n'en reste pas moins que tes cheveux tombent toujours autant et t'es pas prêt de les retrouver. Généralement, tu finis par t'y faire, au fond tu savais bien que ça finirait par arriver, aucun produit ne saurait ralentir la progression indéniable de l'héritage familial. Et puis t'as beau bouffer de la salade, faire attention à varier ton alimentation, et remplir ton bac à bières avec des légumes, rien n'y fait. Ton bidou prend du volume, et ça c'est la lose ultime. Encore draguer sans cheveux, ça peut se faire, on peut se faire passer pour un cancéreux paraît que ça a la côte, mais le ventre c'est pas vraiment glamour. Et si finalement, cela n'avait aucun rapport avec l'alimentation? Si je faisais un déni de grossesse? Ou que mon corps essayait de me faire prendre conscience d'une paternité non déclarée ?

Tout le monde sait qu'un père grossit à l'annonce de l'arrivée de son futur bambin. Mais personne ne peut être préparé à l'annonce de la fécondation d'un demi millier d'êtres humains. Bien avant le lancement du webzine, quand je n'avais encore pas un radis en poche, je m'étais décidé à consacrer mes talents à des fins plus lucratives. C'est comme ça que je me suis retrouvé à aller trois par semaine pendant deux ans à la clinique la plus proche de chez moi, balancer la purée dans des gobelets en plastique, avec pour seuls catalyseurs les quelques Newlook qui trainaient en plus de mon incommensurable imagination. Tout était réglé comme du papier à musique avec une clause de confidentialité et l'utilisation d'un pseudonyme: Starbuck. Vu que ça payait bien et que la banque était contente de mes bébés nageurs, le taux de fécondité de ma semence étant bien plus élevé que la moyenne, j'ai fini par me faire ce qu'on appelle communément des couilles en or. Chez ASBAF, on fait dans la qualité jusque dans nos burnes

Puis comme ça, du jour au lendemain, mon monde bascule parce qu'un huissier se radine dans mon loft, avec son air bigleux et son costume trois pièces, pour m'annoncer que je suis le géniteur de 533 chiournes. Rendez vous compte ! De cette tripotée de lardons, 142 d'entre eux intentaient une action en justice pour découvrir mon identité. Déjà que sur internet, je préfère balancer des saloperies en anonyme de peur de représailles, alors annoncer comme ça à 150 inconnus que leur père est un as du pignolage de gaufrette et même un compulsif de l'effeuillage de baobab, non merci. C'est un coup à se retrouver en couverture d'une feuille de chou avec un surnom à la con, genre El Masturbator ou Joystick.

Une fois le coup accusé, j'ai essayé de voir le bon côté des choses. Tout d'abord, j'ai pensé monter une armée pour envahir un petit pays, genre la Belgique ou la Chine. Puis je me suis rappelé que l'idée était idiote, parce que d'une les Belges sont cons et ça aurait fait de moi le roi des cons, et de deux parce que les asiats ont beau être gentils, je préfère les pâtes au riz; et puis ils sont beaucoup trop déviants, même pour moi. Quelques idées saugrenues plus tard, j'ai décidé d'aller à leur rencontre, de les découvrir un à un sans jamais leur dévoiler ma nature de géniteur, de manière à voir s'ils ont réussi leurs vies, de contrôler que ce sont des gens normaux et bien pensants. En dehors d'un tétra capable de concurrencer une équipe de poupées gonflables lors d'un contest de gobage de Flanby, j'ai découvert un Charlie Winston des couloirs de métro, une jolie junkie, un homo pas vraiment familier avec le concept de fidélité, un barman/acteur, un joueur de soccer pro, un émokid, un gros pilier de comptoir et une spécialiste de la réflexologie plantaire. Mais le vrai soulagement dans tout ça, c'est de savoir qu'aucune de mes filles n'est moche. Avoir une fille moche dont aucun gars ne voudrait même saoul, c'est ma hantise; avec celle de compter parmi mes mouflets un opticien/lunetier, ces gens là ne sont pas comme nous autres.

L'histoire s'est poursuivie jusque dans les tribunaux, j'ai plaidé l'aliénation mentale, c'est passé crème. Bien évidemment, je n'en suis pas sorti indemne, mon porte-feuille en a pris un coup. Imaginez le bordel pour les cadeaux d'anniversaires et de Noël ou pour trouver un restaurant qui voudrait bien vous accueillir pour les repas de famille. J'en ai également tiré deux enseignements. La première est une belle leçon de vie, une morale, une devise qui devrait être inscrite sur les pièces de deux et les billets de dix: tout ce qui sort de vos bourses, ne peut que vous attirer des emmerdes. La seconde est que pour draguer, y aura jamais rien de mieux que de se dire père de famille. J'ai donc changé ma pick up line par: Hey, I just met you, and this is crazy, but here's my number so call me daddy.

Si à tout hasard, vous avez entre 16 et 25 ans et que vous ne connaissez pas votre géniteur, envoyez un p'tit chèque à papounet, il sera content. Les filles peuvent également ajouter une photo de leur poitrine, mais ça c'est pour une étude scientifique.