Inland Empire de David Lynch, Shutter Island de Martin Scorsese et Triangle de Christopher Smith. Trois films vus récemment. S'ils sont tous trois occidentaux, ils n'ont pas grands traits communs a priori : une parabole anti-Hollywood dans l'esprit du précédent Mulholland Drive pour le film de Lynch, une adaptation d'un thriller pour celui de Scorsese et un thriller horrifique intelligent qui tangue sur les eaux du surréalisme pour le Triangle de Christopher Smith. Malgré cela, après visionnage, on peut tracer des droites évidentes entre ces films, liant idées, formes et approches similaires. Les unifiant, quelque part, face à la soupe à la citrouille généralement proposée en tête de rayon (aux emplacements validés par les marketeux de chez Procter & Gamble) au spectateur, qui se fie hélas trop naïvement à l'étiquette aguicheuse de "film d'horreur" et, hélas bis et bis et bis repetita, parvient à trouver du goût dans la fadeur et perpétuellement s'en ressert des bols.
Pourquoi sera-t-on en flippe devant Inland Empire, Shutter Island ou Triangle et pas (ou moins) devant des films pourtant calibrés, balisés quasi scientifiquement dans la seule optique de foutre la frousse au spectateur (outre, évidemment, l'objectif mercantilement louable de sucer un max d'euroboules à son portefeuille) ? Je ne vais pas aborder chaque film en détail, d'abord parce qu'il convient, hors salle de ciné, de garder intacte l'essence même de ce genre de film – le suspense – mais aussi pour éviter de trop emboîter le pas sur la prochaine shitty review du Akwell dédiée à Shutter Island (au travail, fainéant. *coup de trique*).
La flippe tourne généralement autour de thématiques redondantes au genre : la psychopathologie, le surnaturel, la phobie, la sorcellerie, la malédiction, Marthe Villalonga, etc. La manière, sinon facile, du moins classique de faire son film est de séparer les ingrédients dans deux culs de poule différents : d'un côté tous les éléments qui attireront l'empathie du spectateur (situation initiale claire, personnages principaux en victimes, la final girl éventuelle) et d'un autre tout ce qui méritera sa distance et son aversion (l'élément horrifique (le tueur, le requin, la malédiction), le lieu, etc.). Puis l'on imaginera différentes interactions entre les deux blocs. Ce n'est pas que la recette est mauvaise, mais elle tend à être rendue obsolète par des scénaristes et des réalisateurs qui osent expérimenter. Par exemple, le psychopathe du slasher lambda peut certes se révéler dérangeant mais il n'est qu'autre. On l'appréhende, on fait la part : eux sains, lui fou, la situation est explicable. Lorsque l'on aborde la dimension de l'introspection et de la confrontation avec soi-même, on entre tout de suite dans un domaine beaucoup moins palpable, et qui, surtout, propose largement plus de possibilités.
Dans Triangle (un groupe de jeunes winners se retrouve sur un paquebot étrangement désert, suite au dessalage de leur catamaran), le spectateur comprend tôt que les codes sont chamboulés et qu'il ne pourra pas se laisser porter tranquillement jusqu'au dénouement. Dans le film, Jess, au centre (ou le centre) des emmerdes, ne devra faire face à personne d'autre qu'à elle-même. Le spectateur y est largement mis à l'épreuve, aussi paumé que le personnage qui revit ses actions tel la boucle d'un vinyle rayé – l'image y est d'ailleurs présente dans un passage stylistiquement réussi, où l'image elle-même est saccadée au rythme de la boucle. Dans le cas de Shutter Island, une histoire sous-jacente à celle évoquée tout le film trompe la confiance qu'accorde le spectateur à la construction scénaristique classique du thriller (même si, et c'est une des seules faiblesses du film, l'œil vaguement averti aura saisi la chose avant la révélation), mettant ainsi au carré tous les éléments de suspense développés pendant le film. David Lynch développe carrément et ouvertement la psyché de Nikki Grace dans Inland Empire, interprétée par Laura Dern, même si on a davantage l'impression qu'il joue avec Laura Dern elle-même comme un taré planterait méticuleusement des aiguilles dans une poupée vaudou (elle est incroyable, le film tient sur ses seules épaules). C'est sans détour, le spectateur en prend plein la face.
Dans Triangle (un groupe de jeunes winners se retrouve sur un paquebot étrangement désert, suite au dessalage de leur catamaran), le spectateur comprend tôt que les codes sont chamboulés et qu'il ne pourra pas se laisser porter tranquillement jusqu'au dénouement. Dans le film, Jess, au centre (ou le centre) des emmerdes, ne devra faire face à personne d'autre qu'à elle-même. Le spectateur y est largement mis à l'épreuve, aussi paumé que le personnage qui revit ses actions tel la boucle d'un vinyle rayé – l'image y est d'ailleurs présente dans un passage stylistiquement réussi, où l'image elle-même est saccadée au rythme de la boucle. Dans le cas de Shutter Island, une histoire sous-jacente à celle évoquée tout le film trompe la confiance qu'accorde le spectateur à la construction scénaristique classique du thriller (même si, et c'est une des seules faiblesses du film, l'œil vaguement averti aura saisi la chose avant la révélation), mettant ainsi au carré tous les éléments de suspense développés pendant le film. David Lynch développe carrément et ouvertement la psyché de Nikki Grace dans Inland Empire, interprétée par Laura Dern, même si on a davantage l'impression qu'il joue avec Laura Dern elle-même comme un taré planterait méticuleusement des aiguilles dans une poupée vaudou (elle est incroyable, le film tient sur ses seules épaules). C'est sans détour, le spectateur en prend plein la face.
Quelle meilleure manière de mettre en scène un soi à l'inconscient tourmenté voire mentalement névrosé que d'introduire un dédoublement physique ? On peut dire que c'était presque évident pour Inland Empire, le mythe du doppelgänger étant cher à Lynch (largement exploité dans Twin Peaks ou Lost Highway) : Nikki Grace voit et fuit son double, en changeant en plus de personnalité plusieurs fois au cours du film. Si l'on peut supposer que le background de Triangle tient sans doute au moins autant de la mythologie (le mythe de Sisyphe, condamné à répéter éternellement le même labeur sans s'en rendre compte) que de la psychologie, il reste que Jess fait aussi face à son (ou ses) soi d'un autre quand. Le doppelgänger comme réelle malédiction ou comme fruit d'un cauchemar lucide (à opposer au fameux rêve lucide), la question n'est généralement pas capitale en ce que les effets sont foncièrement les mêmes (si tant est que la réalité ne se mêle pas à l'imaginaire au cours d'une même trame), c'est surtout la question de l'issue qui préoccupera et qui torturera. Dans Inland Empire comme dans Triangle, le doppelgänger n'est pas seul opposé au personnage suivi. Ils sont trois, quatre ou plus, démultipliant par-là la portée de l'étrange et la difficulté de résolution des énigmes. Démultipliant la flippe, sans aucun doute.
Mais est-ce que la flippe ne tient pas aussi en grande partie de la patte du réalisateur voire, soyons fous, de son style ? Refilons un scénar en or à Uwe Boll et voyons quel jus en est pressé. Sûrement un truc à 50°, connaissant le type. Non seulement chacun des trois films se démarque, à sa manière, du classique déterminisme identitaire "nuit / glauque / violence / etc." mais chacun possède une identité visuelle propre. Pour tourner Inland Empire, Lynch a délaissé sa 35mm au profit d'une petite caméra numérique, choix a priori osé six ans après un (relativement) académique Mulholland Drive. Mais le numérique lui permet de prendre des libertés, l'impression d'authenticité n'en est qu'améliorée et la projection sur le personnage se fait donc naturellement. Et ses gros plans de visages filent des maux de ventre. Triangle, lui, est un cauchemar pastel : l'action se déroule sur une mer calme, au dessous d'un ciel dégagé et d'un soleil aveuglant. L'enfer bleu et blanc. Inhabituel et déstabilisant. Shutter Island est davantage classique dans la situation (une île isolée, la tempête, le crépuscule ou la nuit) mais se démarque dans sa réalisation même. Dès le début du film, des fautes de raccord délibérées, des objets qui disparaissent subtilement d'un plan à l'autre inquiètent le spectateur et le font se demander s'il peut croire ce qu'il est en train de voir. Si en plus du scénario alambiqué le réalisateur se met à tromper le spectateur, alors ce dernier se retrouve désespérément seul, en proie à tout. Du cinéma surnaturel.
Du ciné qui ne triche pas. Il s'agit de recherche de l'étrange (les lumières rouges, les rideaux rouges de Lynch), d'expérimentation graphique et scénaristique plus que de bête recherche du sursaut, classiquement à coup de monstres sautant au cou de la caméra. Que l'on cherche à éluder la trame pendant le film (ici Triangle), à la fin de celui-ci (Shutter Island) voire carrément après visionnage (Inland Empire) (on se laissera facilement porter par l'ambiance pour ne réfléchir au film que rétrospectivement), ces films poseront des questions. Provoqueront des troubles phonographosomatiques (disons). Et nécessiteront, non, mériteront un second visionnage.
A bientôt.
PS: Je profite du fait que personne n'a dépassé la cinquième ligne de cet article pour placer en scrèd' les mots-clés huge cocks, xxx, free porn, wide open pussies, interspecies orgy at the animal farm, chicks with dicks, sasha grey et roselyne bachelot histoire de propulser le site toujours plus haut sur Google.
J'ajouterai que ce qui fiche sérieusement les miquettes, dans Shutter Island, c'est aussi la bande-son. Sinon ça donne envie de voir les 2 autres, pour changer des habituels Saw 72 et autres 28 années bissextiles plus tard.
RépondreSupprimer(Et j'ai tout lu, espèce d'attention whore)
Ouaip complètement pour la bande-son, j'ai zappé le sujet. Sinon je ne vois pas ce que vous avez contre Saw 72 ma chère, des films de qualitay améwicaine.
RépondreSupprimerSinon c'est incroyable que quelqu'un ait tout lu. Je t'écrirai un chèque.
J'ai juste lu 2 lignes parce que j'aime pas lire et c'est trop long mais en tout cas Laura Dern dégage un grand charisme. (Julien P.)
RépondreSupprimerJ'espère bien que ce n'est pas ironique pour L. Dern (salaud)
RépondreSupprimerJe te paierai un Mars va.
Mais c'est dla bombe cet article !!
RépondreSupprimerJ'ai tout lu, c'est très interessant, demain jvais revoir Shutter Island.
Foutue coïncidence (!?), j'étais sur ton blog (via bathroomgrll, most probably), du bon.
RépondreSupprimerCimer pour le commentaire, ça fait bien plaisir. (et t'as bon goût en plus donc bon..)
Ah encore une chose : je te conseille d'éviter la mousse au chocolat du patron.
J'ai essayé de voir les objets qui "disparaissaient subtilement" lors de ma 2eme séance, et à part la scène du cigare + verre de thé glacé chez le Doc Collet, où un changement d'axe très léger de caméra peut faire croire à une disparition de vase, jvois pas. Alors fait péter ta subtilité, monsieur j'ai 300 de QI.
RépondreSupprimerEn problèmes de raccords y a la scène où ils fument sur le bateau au début du film, en objets qui disparaissent il y a aussi quand la tarée boit son verre (on parle pas du même, si?), genre le verre est vide, puis plein, puis elle le porte à ses lèvres mais il disparait, etc. Mais ce genre de trucs tend à disparaitre au cours du film quand tu as compris ce qui pouvait se passer.
RépondreSupprimerCa aurait été inutile de surligner encore et encore la métaphore, j'imagine. :) Mais bien vu pour le reste!
Très intéressant cet article.
RépondreSupprimerMoi, j'ai arrêté de lire quand tu écris que tu ne veux pas gâcher l'essence des 3 films.
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